La loi du monde by Christian Léourier

Auteur:Christian Léourier [Léourier, Christian]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2-277-22736-6
Éditeur: J’ai Lu
Publié: 1990-01-01T05:00:00+00:00

Prendre, au petit matin, congé d’un lieu qui laisse un goût d’amertume. Partir vers le nord. Avoir, désormais, un but.

Se sentir à nouveau résolu.

Le feu découpe dans la nuit un cercle rubescent. À la frange, des silhouettes dansent. Tout d’abord, Skiath a cru qu’il s’agissait de lièvres des plateaux, ces rongeurs hauts sur pattes qui hantent les bivouacs abandonnés à la recherche de quelque relief ; mais ces bestioles ne s’approchent jamais des hommes. Alors il a craint que les pillards n’eussent retrouvé sa trace. Mais ils n’auraient pas eu ces manières furtives. Il jette un morceau de viande séchée au-delà du cercle de lumière. On entend un bruit de mêlée, des piaillements étouffés. Allons, il s’inquiète pour rien, ses visiteurs sont bien des charognards. Saisissant un brandon dans le foyer, il le lance en direction du bruit. Il a tout juste le temps d’apercevoir une silhouette qui détale.

Une silhouette humaine.

Toute la nuit, il guette.

L’aube vient. Avant que le jour se lève, le vent se met à souffler. Puis une lueur blanche se devine à l’est ; Skiath s’impatiente. Au loin, il croit entendre des cris. Enfin, il tombe du ciel assez de lumière pour que le veilleur puisse distinguer autre chose que l’ombre de ses propres peurs.

Or, malgré l’absence d’obstacles, Skiath n’aperçoit pas la moindre trace de ses visiteurs nocturnes. Ses compagnes n’ont rien remarqué. Il tait ses inquiétudes ; avec le jour, elles lui paraissent un peu ridicules.

La nuit suivante, cependant, le manège recommence. Cette fois, Skiath n’est pas décidé à monter la garde jusqu’au matin. Toute la journée, il s’est traîné, les membres las, la paupière lourde, l’estomac barbouillé. Il doit se reposer cette nuit. Se reposer…

La veille, il lui avait semblé que la silhouette ne courait pas aussi vite que cela. Il fait mine de s’occuper du feu, guettant du coin de l’œil les mouvements furtifs qui agitent l’ombre. Puis il s’éloigne en s’étirant, comme s’il se préparait à s’enrouler dans sa couverture et, alors que rien ne permettait de prévoir son geste, il se rue en avant.

C’est une débandade. Les pierres claquent sous un piétinement rapide. Skiath court, les bras écartés. Ses doigts rencontrent un obstacle. Le fugitif glapit, s’esquive. Skiath infléchit sa course. En vain. L’autre a déguerpi.

Skiath revient au camp, penaud.

— Ils m’ont filé entre les doigts. Il faisait trop noir.

— Et eux avaient des yeux de chat, raille Isoline.

— En tout cas, ils ne reviendront pas de sitôt.

Il se tait, pensif, hésitant à décrire ce qu’il a tout de même entrevu.

— Ils sont tout petits.

— Des nains ?

— Ou des enfants.

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